Mardi 1er juin 2010

Le Cimetière Israélite



Le mois de juin commence, je suis sur la dernière ligne droite, samedi j’aurai regagné la France.
N’ayant pu, l’année dernière, entrer dans le cimetière israélite, je suis bien décidé aujourd’hui à y pénétrer.
J’ai remonté tout le boulevard de Mascara et j’arrive à l’angle de la Rue du Général Bourbaki qui délimite, au sud, le Village Nègre.
Ce matin il fait très chaud, et le quartier est déjà en ébullition. A cause des travaux de construction du tramway, l’avenue de la République est difficilement accessible, on ne circule que sur une voie, de chaque côté du chantier. La rue Bourbaki est donc l’itinéraire de déviation obligatoire pour aller vers Lamur, Liautey ou Médioni.
Je longe le mur du cimetière. Tout le long du trottoir, les cordonniers ont installé leur bric-à-brac. Sur des sacs en toile de jute, des dizaines de paires de chaussures attendent, chacune leur tour, que le miracle se fasse pour leur donner une seconde vie… Une pure utopie quand on voit l’état des semelles ou des tiges. Pourtant, consciencieusement, leurs petits clous au bout des lèvres, leur marteau de savetier dans une main et un pied en fer renversé entre les jambes, ces magiciens vont faire renaître ces paires de chaussures élimées. A côté d’eux, un « ouvrier » assis à même le sol, une multitude de boites de cirage devant lui, leur donnera le petit éclat qui augmentera le prix de la réparation. Je m’attarde à les regarder travailler, ils ont l’air d’en être flattés.
Les énormes portes en fer du Cimetière sont fermées. Pas de sonnette, une grosse chaîne a remplacé la serrure. Un fil de fer rouillé sert de cadenas. Je frappe sur la porte, personne ne répond. Des passants me regardent et me font « non » de la tête. Je traduis çà par « c’est fermé ». Je ne me décourage pas, je défais le fil de fer, et je pousse la porte. Une fois à l’intérieur, je referme derrière moi et je reste contemplatif devant le désastre.
Trois hectares en friches, la végétation dépasse les deux mètres par endroits.
Ce terrain avait été vendu à la Communauté Juive en 1801 par le Bey Othman. Cette vente avait été confirmée devant notaire en 1846, mais le terrain restera « vague » jusqu’en 1858, quand fut délivrée l’autorisation de le faire clôturer par un mur crénelé, et deviendra le Cimetière israélite de notre ville.
En 1968, six ans après l’Indépendance, le Consistoire Central de Paris autorisa la Municipalité (APC) d’Oran à procéder à l’alignement de la Rue Général Bourbaki, en déplaçant le mur du cimetière pour son agrandissement.
Ces travaux ont nécessité l’exhumation et l’enlèvement des tombes et caveaux qui bordaient ce mur à l'intérieur. Depuis 1968, apparemment, tout est resté en l’état, pierres tombales, plaques de marbre et monuments sont entassés à l’entrée.
Je dois prendre des photos d’une tombe qui se trouve adossée au mur du fond. Je traverse cette jungle, les monuments sont tous recouverts par la végétation. Il n’y a plus d’allées, je suis donc obligé de monter sur les tombes et de sauter de l’une à l’autre pour atteindre le mur du fond. Triste spectacle, j’essaie de trouver un nom, peine perdue, je fais le mur du fond dans les deux sens, plusieurs fois, je suis désolé, je ne trouverai pas…
Je prends quelques photos de ce cahot, je suis déçu de n’avoir pas trouvé l’emplacement que l’on m’avait demandé.
Je ramasse un sac qui traîne, je creuse la terre sèche du cimetière avec mes mains, quelques poignées dans mon sac plastique…
Voilà, c’est le souvenir que je ramènerai de cet endroit, la terre où la famille de M. repose.
Je reste encore un moment à contempler ce cimetière où je ne reviendrai vraisemblablement jamais.
Désolé d’avoir troublé le repos de ceux qui sont enterrés ici, et si j’ai marché sur des tombes, je n’en avais pas le choix et surtout, ce fût sans vouloir les profaner…