Né à Cordoue, il était le fils cadet d’un puissant et cruel vizir. Supportant mal l’autorité d’un père qui le méprisait et l’humiliait, il recevait sans gémir les coups de fouet et ne pouvait plus contenir sa révolte.
Lui le rebelle adolescent, sensible et sentimental avait le cœur pris par la belle Nardjess, sa cousine. Il se réfugiait dans des poèmes d’amour qu’il écrivait à celle qu’il rêvait en secret d’épouser.
Mais son père, tuteur de Nardjess, voulant affirmer encore davantage son autorité auprès de son fils, annonça à Djaffar qu’il lui avait choisi une épouse, la fille d’un riche négociant avec qui il était en affaires et d’une esclave chrétienne, plus âgée que lui, laide et sans grâce.
Djaffar fut atterré par la nouvelle.
La cruauté du Vizir son père alla jusqu’à marier la jeune et douce Nardjess à un chef de guerre afin de ne laisser à Djaffar aucun espoir.
Le beau et tendre Djaffar, abattu par la malchance et la méchanceté de son père quitta sa famille et Cordoue la veille de ses noces et s’embarqua à bord d’un navire en partance pour l’Egypte.
Les cotes espagnoles s’éloignèrent et disparurent dans la brume, son destin se jouait dans cette Méditerranée (où 10 siècles plus tard se jouera le nôtre).
Une nuit, alors que le navire continuait sa route vers Alexandrie, Djaffar fit un songe : il se débattait dans des flots hostiles, luttant contre les vagues de plus en plus grosses qui l’éloignaient du rivage de sable blanc qu’il devinait dans la nuit. Ses forces le quittaient quand soudain, alors que la mer allait l’engloutir, deux majestueux lions aux crinières dorées surgirent, lui offrirent leurs échines auxquelles il s’agrippa dans un geste de désespoir, et le portèrent épuisé sur la rive….
En sueur et tremblant Djaffar se réveilla.
Ce n’était qu’un rêve auquel il n’eut pas le loisir de trouver une signification parce que la tempête faisait rage au dehors et leur navire était ballotté par des flots tumultueux, les mâts brisés par des vents violents, les voiles arrachées…
A l’aube de cette nuit terrible, le navire disloqué s’était écrasé sur les rochers. Ce n’était pas l’Egypte, mais une terre bénie qui leur offrait, bien malgré eux, l’hospitalité après leur naufrage.
Djaffar et ses compagnons d’infortune, harassés, venaient de fouler le sol d’Afrique, , un pays qu’ils ne connaissaient pas, mais espérant qu’ils n’y resteraient pas longtemps, leur route était encore longue…
Mille ans après, la plage sur laquelle ils accostèrent s’appelle toujours "Les Andalouses ».
Les marins andalous entreprirent de réparer leur bateau afin de pouvoir reprendre la mer.
Plusieurs mois passèrent sur cette cote ceinturée de montagnes et les marins perdirent l’espoir de remettre leur navire à flots…
Un jour, alors que Djaffar longeait l’oued alimenté par les sources des montagnes, il découvrit sur la berge opposée deux jeunes lions. Cette rencontre lui rappela aussitôt le songe qu’il fit la nuit du naufrage. Djaffar aurait bien voulu approcher les deux lionceaux, mais il craignit que la mère ne surgit et ne l’attaqua pour défendre ses petits. Il s’éloigna lentement et revint au campement. Il y pensa toute la nuit et à la hâte le lendemain il retourna à l’endroit où il avait aperçu les deux jeunes lions. Il fut heureux de les retrouver là. Il revint le lendemain puis le surlendemain et les jours suivants… Les lionceaux semblaient l’attendre chaque jour et leurs yeux semblaient implorer sa bonté et sa protection. Aucune trace de la lionne.
Djaffar comprit que son rêve prenait signification et qu’il devait accepter le message du destin.
Il s’avança vers les petits lions qui, aussitôt, l’invitèrent à les suivre.
Djaffar les suivit et enfin il s’arrêtèrent en gémissant doucement, dans une faible plainte. Devant eux, gisant dans l’herbe , étendue sur le flanc, les yeux ouverts reflétant la tendresse infinie du regard d’une mère sur ses enfants, la lionne semblait dire à Djaffar : « Protège-les, prends soin d’eux et que Dieu veille sur toi… »
La lionne était morte et elle ne verra pas ses petits grandir…
Djaffar s’assit sur une grande pierre plate, tristement… L’émotion et la peine l’avaient gagné, ses larmes coulèrent sur ses joues et les lionceaux se couchèrent à ses pieds, implorant sa protection.
Il ne les abandonnera jamais, ils ne se quitteront plus.
Là, au fond de l’oued, sur cette pierre plate, Djaffar construisit sa maison. Elle fut la première maison de la cité qui deviendra une ville, notre ville et c’est pourquoi elle porte ce joli nom : Les deux Lions, Wahran, Oran…
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